Knowing or not knowing
Without knowing*, les dix mille choses sont comme une salade de fruit : des petits morceaux de toutes les couleurs, bien mélangés ! Il semble que la succession dans le temps disparaisse. Tout est là en même temps, mais tout bouge, se transforme, naît et meurt ; pourtant, l’ensemble est toujours là, et toujours le même : le tout, dont les éléments constitutifs individuels ne sont pas importants ; comme le courant d’un fleuve est toujours le même, alors que les molécules d’eau passent et changent (elles changent de toute façon, soit dans l’espace, soit dans le temps).
L’infinité de l’espace serait l’ubiquité, et l’infinité de la conscience la synchronicité. Il n’y a plus de lieu ni de temps définis et individuels. Toutes les choses sont là, mais pas à un endroit particulier, ni à un moment particulier, ni dans une forme particulière (qui correspondrait à un concept particulier). Toutes les choses sont là, mais elles ne sont rien, elles n’ont pas de signification, d’utilité, ni de rôle à jouer – elles n’appartiennent à personne et ne s’identifient à rien. C’est une vacuité grouillante de vie, de couleurs, de formes, de sons, de goûts, d’odeurs, de sensations, d’idées… Tout est là, mais rien n’est saisissable ou identifiable. Rien n’est beau ou laid, bon ou mauvais, passé ou futur ; tout est simplement là, as it is*, mais sans être vraiment là, ni ailleurs ; sans avoir une forme qui puisse être définie comme as it is, ni être reconnue comme différente de as it is not. C’est là sans être là, c’est quelque chose tout en n’étant rien ! On rejoint la physique quantique : on sait que les choses sont là, mais on ne peut pas les trouver, car dès que quelqu’un veut les trouver, elles s’échappent et ne sont plus là.
Si on dit : « Oui, mais cet arbre est là, je peux le toucher, je peux le voir », est-ce que la sensation rugueuse de l’écorce sur la main, ou la perception visuelle de l’arbre dans l’œil sont vraiment l’arbre, dans sa réalité totale et son interrelation cosmique ? Certainement pas ! Le knowing de l’arbre est limité à des concepts qui ne sont qu’un pâle reflet subjectif de l’arbre. On ne peut connaître vraiment l’arbre que si on est l’arbre. Pour cela, il faut transcender le petit soi qui connaît au moyen de ses sens, mais reste une entité séparée des choses qu’il croit connaître.
* Knowing : to know : savoir, connaître. Knowing : le savoir, la connaissance, le fait de savoir, de connaître. Without knowing : sans savoir, sans connaissance.
* As it is : tel qu’il/elle est. As it is not : tel qu’il/elle n’est pas.
15 janvier 1992, Hua Hin