Compulsion du faire
Je constate que je suis toujours dans cette compulsion du faire : dès le matin, je suis agité et n’attends qu’à me mettre au travail, après avoir fait mes pratiques au plus vite. Je travaille généralement jusqu’à 13 ou 14 heures sans m’arrêter, puis je mange, je lis ou vais faire des courses, et recommence vers 16-17 heures, jusqu’à 19 heures ou plus. C’est curieux, en lisant mon Journal de 1989, à mon arrivé à Bangkok, j’étais déjà dans cette même compulsion : je ne savais comment gérer le temps et me fatiguais pour faire tout ce que j’avais envie de faire. La différence, c’est qu’à cette époque je faisais souvent des retraites ou des petits voyages ; et quand je partais pour faire quelque chose à l’extérieur à Bangkok, cela me prenait toute la journée. J’essayais de comprendre ce matin ce qui me faisait faire toutes ces choses : le sens du devoir, le surmoi ? J’imagine qu’il est important, même primordial, de faire ces choses, et en plus, que c’est urgent ! Quelle horreur : c’est de l’esclavage, self-inflicted (volontaire).
Je lis le deuxième tome des Carnets d’une apocalypse de Satprem. Chez lui, c’est encore pire. Il a travaillé d’arrache-pied et à un rythme d’enfer pendant des années pour publier les Agendas de Mère, et des tas d’autres livres. Il dit qu’il a écrit Le mental des cellules en trente-et-un jours – je n’en suis pas encore là, heureusement ; mais si j’en étais capable, cela résoudrait mon stress de ne pas arriver à faire tout ce que je veux faire. En fait, comme il y a toujours de nouvelles choses et de nouvelles idées qui viennent s’ajouter à la liste, c’est un processus et une course sans fin ; tant qu’on croit qu’on est sur cette terre pour faire des choses, pour une mission, un rôle, un devoir… Est-ce cela l’enfer ? Pour l’instant, en tout cas, je n’en vois pas la fin ; et à ce rythme, mon emploi du temps sera busy busy jusqu’à mon départ en France. Je ne vois pas comment je pourrais avoir une nouvelle liaison dans cette situation. Et même si des amis venaient me rendre visite, cela chamboulerait mon programme. Mais dans un autre sens, quand je travaille, je suis bien ; alors que quand je ne fais rien, ou même souvent quand je sors et vois des gens, j’ai l’impression de perdre mon temps, si je ne m’ennuie pas carrément.
Pour en revenir à Satprem, la différence c’est que lui, en plus, se sentait toujours persécuté, et avait peur que les forces du mal extérieures l’empêchent de finir sa tâche. Difficile de savoir si ces forces étaient bien réelles… mais sans doute un peu exagérées. J’ai de la peine à percevoir l’Agenda de Mère et Auroville comme des problèmes politiques de première importance au niveau mondial, ou même au niveau de l’Inde. Satprem pensait également que l’enseignement de Mère pourrait changer le monde ; mais plus de vingt ans ont passé depuis qu’il a écrit ces Carnets et rien n’a changé dans le monde, bien au contraire. Alors… est-ce pour dire que l’homme est toujours dans ses wishful thinkings, espérant que des dieux ou des forces supérieures vont venir à son secours ?
10 janvier 2003, Chiang Mai